Matt Mahlen

Interfaces

A comme bleu — images

La revue Interfaces publie cette photo, prise en juin 2023 au Port du Rhin, Strasbourg, pour son numéro 49 consacré au thème de la ruine.

Cette image fait partie d’une série Interstices qui résultait d’une prospection pour Friches Immersives, une expérience originale d’écriture et de création en mouvement réalisée à l’automne. Il y était né aussi ce texte qui accompagne ces prises de vues et qui deviendra note d’intention adressée aux arpenteurs à venir.

Poïétique du chaos, les forces du fragile
 
Marche, marge, écriture, image, ligne, page, danse, passage, friche, pliage, signe.
 
Une friche nous dit que la page blanche n’existe pas.
Il y a juste un monde qui n’en finit pas de disparaître et un autre qui ne cesse de devenir.
Le terrain vague. L’océan terre et son ciel de cailloux.
Une friche parce que vue comme hors ou à côté du monde ; espace perdu, cassé, abandonné ou inachevé, est-ce cet endroit qui t’aiderait à sortir de toi ?
 
Porosité de toute frontière et réalité invisible des séparations. L’expérience de la piste comme pratique créative, notre corps lit et dit l’espace.
L’arpentage du sensible, connaître la géographie des imaginaires, nous tournons comme la terre, le vent et l’eau.
Nous nous plaçons dans l’écluse, dans l’entre-deux, dans l’incertain.
L’inter-dit, l’interstice.
Nous sommes en mouvement.
Nous funambulons.
Nous marchons entre le ciel et le sol, au centre des horizons.
 
Nous ne sommes pas habillés de discours.
Ni ne suivons ou attendons des consignes.
Mais nous sortons du sens, de la sente.
 
Nous nous armons d’attention en gardant juste un crayon à papier.
C’est lui notre bâton de marche.
Il faudra deviner un but, rassembler des éclats, des écrits.
Le défait, les écarts.
Rallumer nos sens. Ressentir.
Perdus à l’intérieur de nous et tout ouvert aux mondes, au grand Autre.
 
Habiter les moments. Sentir les à-coups, le ressac et le chaos, vouloir deviner ce qui est.
Accueillir la fragilité et la retourner en son immense puissance généreuse.
 
Nous ne chercherons pas notre chemin,
nous fabriquerons des passages vers un commun
et irons rencontrer l’ancestral hasard connu.
Nous voulons faire ce que nous savons, ce que nous avons su,
chercher le nouveau dans le perdu,
donner l’inutile comme essentiel, perdre nos mots pour refaire un sentier vivant.
 
Nous transhumons.
Jusqu’à s’abriter dans l’insaisissable.