Matt Mahlen

Nous n’avons pas foi en nos croyances, nous les dansons

Musique — Indika

Le texte ci-dessous explique mon travail, et surtout la question de l’image, avec le groupe de reggae roots strasbourgeois Indika.

De la couleur de vos notes

Nous n’avons pas foi en nos croyances, nous les dansons.

Parole amérindienne.

Les images fabriquées pour Indika peuvent bien sûr être des illustrations des thèmes et des paroles du groupe. Et j’aimerais pourtant qu’elles ne soient pas que cela. Ces peintures, ces dessins viennent de la musique et les musiciens y ont apporté leur touche. Nous les avons fabriquées ensemble. Côte à côte. Elles nous ont rassemblées.

Bien sûr, les musiciens n’ont ni tellement choisi les couleurs et aucunement dessiné les formes de ces œuvres. Ils et elles n’ont pas effleuré le papier, pas joué du pinceau, pas attendu ce que cherchait la main, pas cherché la magie du noir ou la folie sorcière des couleurs. Pas plus que je n’ai chanté. Non, c’est la scène qui est leur grande feuille. Le public qui remplace la présence. Avec les chants comme couleurs et pour palettes, des rythmes.

A chacun son ou ses instruments

Cependant, j’aimerais que l’art visuel ou la musique ne soit pas la petite propriété de chacun. Est-il possible de réussir la fidèle infidélité ? Pourrions-nous chercher la force du lichen, cette alliance invincible du champignon et de l’algue que rien n’arrête ? Sommes-nous capables d’allier autonomie et collectif, de fondre même – ensemble – liberté et fraternité ? Pouvons-nous nous surprendre ? Les arts s’épaulent, s’articulent, se combinent et fabriquent une substance spirituelle concrète dont tous, et au premier rang notre public, pourraient s’emparer. Et si nos talents ne parlent pas forcément d’une même voix, qu’il y gronde les paroles vraies et les gestes justes. Alors les images entonneront les chants et les pleurs de l’humanité tandis que les musiques dessineront les sentiers impossibles de notre monde.

C’est cette construction incessante que nous pourrions tenter. Et paradoxalement, ce qui m’importe ici revient à casser tout pouvoir et là à désacraliser l’artiste. Tout pouvoir – néfaste en lui-même à bien d’autres égards – crée une distance. Ce que je fais en tant qu’homme, citoyen du monde et artiste, cherche au contraire à rapprocher. Rapprocher mon esprit de mon corps, rapprocher l’autre de moi et de lui-même. Rapprocher les autres entre eux pour qu’ils forment un ensemble d’individualités rayonnantes.

Cela suppose là encore d’abolir des frontières. Et c’est une invite à ne limiter à aucun espace le champ (chant) des arts. Il n’y aura plus de scène ni de papier, de héros et de consommateurs. Aucun spectacle et toute la vie.

Car nous cherchons à entendre le chant du monde comme nous nous exerçons au bonheur qui se bat. Nous libérons des forces simples, extraordinaires et magiques. Nous quittons la terre, nous allons vers l’autre et nous nous risquons.

Nous visons les sens et nos mains parlent

Nous partageons et recherchons l’harmonie, le rythme, la tonalité, l’écoute, l’énergie et le déséquilibre. Et parfois, nos mains savent.

Nous savons même, plasticien comme musicien, la valeur et la présence du silence. Je ne parle pas ici de ce qu’on a fait de l’artiste (ou de ce qu’il fait de lui-même !), de ce qu’il aurait seul le droit et le pouvoir de faire et qu’on en dénie de l’espoir jusqu’à l’imagination à l’homme du commun. Comme tout homme, qui n’en a pas été dépossédé ou qui l’a ignoré, nous connaissons la volonté qui vient du rêve et nous devinons où se cachent la liberté et l’amour dans la vie. A côté de lui, nous aiguisons la force qui touche notre sœur et nous entraînons notre frère.

Nous y travaillons, nous tamisons la rage, nous passons le mot. C’est ce que nous voulons. Etre et faire.

Strasbourg, novembre 2009.